Photos-Souvenirs - 1988

Les Écrits, 1988

 

Texte d'introduction à Photos-souvenirs 1965-1988 in Daniel Buren, Photos-souvenirs 1965-1988, Villeurbanne, Art édition, 1988, p. 3-7.

 

Au fait

 

L'étourdi

Il ne viendrait à l'esprit de personne – sauf dérangement cérébral profond – de confondre un crocodile avec la photo de celui-ci, ni le contraire d'ailleurs, sous peine de déconvenues pouvant être fatales à l'étourdi. Si l'on admet aujourd'hui assez aisément, sous nos latitudes du moins, que peu de gens se trompent encore entre l'image d'une chose et cette chose-là (même lorsque l'image est hologramme), il n'en va pas de même dans le domaine de la reproduction photographique des œuvres d'art par rapport à ces dernières et ce, surtout dans l'art contemporain, que ces œuvres soient d'ailleurs planes ou spatiales, peu importe.
Ce prologue en forme de mise en garde me semble être, ici avant que d'aborder ce livre d'images, la moindre des recommandations afin que les photos qui suivent ne nous prennent pas trop aisément dans leurs rets. Et ce n'est pas tout !
Attention, « ceci n'est pas une pipe » pourrait, en l'adaptant «ceci n'est pas un objet d'art », ou bien : « ceci n'est pas une copie conforme », par exemple, se conjuguer pour chacune des quatre cents photos qui suivent et leur servir d'exergue.

L'œil du photographe

Mais alors, que sont ces photos ?

D'abord, des photos-souvenirs, c'est-à-dire des photos sans prétention et uniquement cela, comme l'indique le titre. Seulement voilà, cette simplification de l'annonce, presque anecdotique, voire un rien touristique, si elle laisse augurer que l'on va bien voir des photos, ne dit en revanche rien du type de souvenir qui les accompagne. Par exemple, s'agit-il, en tant qu'auteur des photos, du souvenir que j'ai des travaux qu'elles représentent ? Certainement pas. Et le souvenir que j'en ai s'éloigne encore un peu plus lorsqu'il s'agit de photos prises par d'autres. Par conséquent, il est probable qu'il en est de même pour tous ceux qui ont vu et ont été témoins des travaux photographiés, c'est-à-dire qu'entre leurs souvenirs propres et ceux restitués par la photo, la distance est grande, la frustration aussi, à moins, sans doute, d'être subjugué et de croire alors à l'objectivité de la photo en tant que document d'une part, et à la fiabilité de l'œil du photographe d'autre part, se substituant à celui de tous les autres, croyances que je ne partage pas.

La mémoire défaillante

Que se passe-t-il alors avec ces photos ?

Ce qui se passe, en fait, pour les témoins directs de l'événement, c'est que, la photo-souvenir agissant comme une sorte de grille, elle aide la mémoire et la trompe à la fois en ajoutant –et ceux apportés par la photo ravive les premiers au détriment des seconds. La photo-souvenir joue alors comme un signal qui enclencherait un processus de ré-activation de la mémoire, donc du sujet ; c'est alors une photo-rappel. Dans les moins bons cas, c'est le contraire qui se passe et l'on risque fort alors de voir la mémoire défaillante être submergée par celle, impérieuse, de la photo qui s'y imprime, oblitérant le sujet en s'y superposant et, lui faisant écran, devenir une photo-oubli. En ce sens, la photo-souvenir devient alors la superposition « caméléonesque » d'une image sur une autre, la seconde venant –sous prétexte de mémorisation – accélérer le processus d'oubli du souvenir qu'on avait de la première en s'y substituant et réussissant ainsi une sorte de palimpseste parfait. Et comme sur un vieux manuscrit, où filtrent encore entre les signes et, sous le grattage, quelques réminiscences de l'original, c'est seulement en y prenant soin, et non sans quelques efforts, que les photos ci-après laisseront transparaître la raison profonde de leur présence.

La photo-souvenir

La photo alors, par rapport à ceux et celles qui ont vu et expérimenté le travail-événement qu'elle illustre, sert d'aide-mémoire, donne la preuve de l'existence formelle passée – ou présente d'ailleurs – de la chose photographiée.
Mais alors, pourquoi ce titre et son utilisation constante depuis plus de vingt ans, accompagnant toutes les reproductions publiées, s'il ne s'agit même pas du souvenir du travail que peuvent avoir les quelques témoins oculaires de celui-ci, à commencer par moi ?
Tout d'abord, parce que le terme lui-même est volontairement choisi pour son aspect quelque peu négatif, passif, et tente ainsi, immédiatement, de réduire l'impact que la photo peut avoir d'emblée. Ensuite, parce que si la photo en question parle bien de souvenir, il ne s'agit pas exactement de celui auquel on s'attendait. La photo-souvenir, après avoir éventuellement rappelé quelques détails tangibles qu'elle a enregistrés – nom d'une rue, image possible et choisie parmi des milliers. Et dans votre esprit, maintenant, jamais rappel de ce travail mais souvenir de sa photo. Et c'est d'autant plus troublant que, si la rémanence des images visuelles peut subsister un court instant après la disparition de l'excitation objective qui la provoque, jamais la photographie, en revanche, n'est le rémanant de l'objet qui l'a suscitée. Le seul cas où cela est possible est celui où la chose photographiée est elle-même, et déjà, une photographie. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, la distance de l'objet à son sujet est infiniment petite, infra-mince pourrait-on dire. Nous ne passons pas d'un type d'objet à un autre, du modèle à sa reproduction, mais d'un type de reproduction à un autre qui lui est semblable en tous points. Et quand bien même il y aurait une perte – infime – d'un objet à l'autre, on n'en reste pas moins dans le vif du sujet. Dans tous les autres cas, la photo est bien objet spécifique intrinsèque, à son tour sujet à spéculation, étranger par nature à ce qui est photographié.

La trahison

En d'autres termes, la photo est à son tour création, voire créatrice. C'est pour cela que le passage d'un type de travail visuel – voire même de type représentatif – à sa reproduction par un autre système (ici photographique), dans la mesure où les différences constitutives de ces deux systèmes sont hétérogènes, voire contradictoires malgré les apparences, ce passage, disais-je, est toujours discutable. C'est pour cela que la reproduction d'un tableau, d'un objet, pour aussi parfaite qu'elle puisse être, en est toujours, définitivement, la trahison. A fortiori, lorsqu'il ne s'agit ni d'objets, ni de tableaux mais d'espaces entiers. La trahison de la reproduction est alors à son comble et il s'agit ici, consciemment, de l'éclairer, de la débusquer et de la déclarer pour ce qu'elle est. Surtout, et ne l'oublions pas, que le sujet auquel toutes ces photos se réfèrent, est un travail-événement dont certains des principes, parmi les plus significatifs, incluent la multiplication des points de vue, la mobilité des spectateurs et l'élargissement de la vision au sens propre. Ces caractéristiques brisent, entre autres éléments, le cadre habituel de I'œuvre, en l'occurrence le questionnent. Ou, si l'on préfère, c'est le cadre qui se définit sans cesse, à chaque fois et à chaque pas, selon chaque déplacement de chaque spectateur. Or, que fait principalement la photographie ? Elle cadre ! Elle s'impose.

Une lecture divergente

Et pendant ce temps, l'outil visuel rayé, matériau à proprement parler infini, traverse les espaces et les contextes les plus disparates, permet de rendre sensibles des lieux différents, des échelles différentes, grâce à un espacement blanc-couleur-blanc... toujours identique à lui-même et ce, quelles que soient sa position et la situation, générant ainsi une lecture divergente de par la multiplicité des couches traversées à la rencontre d'un même d'où naissent les différents. Matériau, outil-visuel, qui sépare sans cesse d'un espace à l'autre, d'un étage à l'autre, d'un genre à l'autre, en se différenciant sans cesse. Clôtures qui s'ouvrent et qui se referment, de gauche à droite, de haut en bas, de l'avant vers l'arrière et vice versa; bifurcations incessantes. Et que fait la photographie ? Elle aplatit ! Tranquillement. Elle impose ses règles de convergence à un système dont tous les effets et efforts ont pour but d'occasionner la divergence. Et ce ne sont pas trois photos d'un même sujet, prises de trois angles différents, qui suffiront à réduire, à ôter la surpuissance de la photo en ce domaine. Ces trois photos, à chaque fois, « re-cadrent » du particulier qu'elles sur-définissent plus qu'elles ne définissent, en fait qu'elles « finissent » bel et bien ! Alors que les points de vue possibles et multiples sont libres, inattendus, spectaculaires ou anodins, demandent à être découverts, la photo anéantit ces « qualités » en les signalant à l'attention. Ce qui était offert gracieusement dans le travail, au risque d'être insoupçonné, de passer inaperçu, s'impose ici. Ce qui se dérobait s'exhibe. C'est ici la photo qui se « souvient » et nous rappelle à son souvenir.

La ligne de démarcation

Ainsi en va-t-il des logiques propres à deux systèmes contradictoires, de la photo-souvenir au souvenir de la photo. Et pour ceux, parmi vous, dont la photo va, seule, permettre de se forger une image et un souvenir, il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici de documents indicatifs, allusifs même, qui dépendent entièrement de la chose photographiée certes, mais ne peuvent en aucun cas la remplacer, ni s'y substituer. C'est l'une des raisons pour lesquelles le soin le plus extrême a toujours été pris en ce qui concerne la présentation et l'utilisation de ces photos. Jamais, par exemple, elles n'ont été exposées pour « parler » d'un travail qui ne pouvait être présenté dans le même endroit, encore moins pour venir le remplacer et, de ce fait, n'ont jamais été vendues à la place du travail photographié, quand bien même cette alternative aurait été et reste, dans bien des cas, la seule façon « raisonnable » et admise de monnayer son travail. Et c'est bien parce que cette démarche est largement utilisée comme palliatif par ceux qui ne peuvent vendre l'œuvre originale et qui ne s'aperçoivent pas du danger qu'ainsi ils lui font courir, qu'il est devenu si difficile d'utiliser la photographie comme simple document libre de tout autre caractère. C'est pour cela aussi que la ligne de démarcation entre la photo-souvenir reproduite à des milliers d'exemplaires (cartes postales, livres, affiches, journaux, catalogues...) et son exposition publique comme œuvre unique et vendable en Galerie ou en Musée, ne doit jamais être franchie sous peine que la photo, de moyen, ne devienne fin en soi, abolissant alors, et définitivement, son modèle et accède grâce à ses propres caractéristiques, ses charmes et son pouvoir – qui ne sont pas minces mais incompatibles totalement avec ceux du sujet photographié – au statut d'œuvre à part entière, oblitérant pour toujours l'original. Devenant, de surcroît, objet manipulable, ce à quoi la source soit ouvrait par rapport à son utilisation et à sa vente soit échappait totalement, sans commune mesure avec les lois existantes du marché, alors que la photographie renforce et conforte celles-ci.
C'est pourquoi, de l'œuvre à sa photographie, et parce qu'on reste dans le domaine du visuel, tant de précautions sont à prendre et que les mises en garde, si elles ne prétendent d'aucune façon résoudre le problème, entendent bien, en revanche, le poser et empêchent qu'on ne l'élude.

Un regard actif

La reproduction photographique d'un travail visuel, quel qu'il soit, ne va pas de soi. Son exposition en tant qu'ersatz encore moins. Il faut donc lire ce livre – je devrais principalement dire : regarder ces photos – avec indulgence, en ce qui concerne les contraintes, limitations et contradictions du procédé utilisé par rapport à ce dont il est censé rendre compte, et vigilance, en ce qui concerne l'effet d' « embellissement » qu'il produit car, entre autres caractéristiques, la photo est séduisante et, là aussi, un distinguo d'importance est à faire entre la beauté de l'œuvre, quand elle existe, et celle d'un tout autre ordre, si elle en a, produite par la photographie qui la transmet. D'autre part, les œuvres sont photogéniques, c'est-à-dire qu'elles produisent, photographiées, un effet qu'on peut trouver, si l'on n'y prend garde, supérieur à l'effet produit au naturel, dans le lieu, parce que l'effet de réduction, au propre comme au figuré, particulier au langage photographique, rend plus aisée, parce que plus traditionnelle – en la simplifiant à l'extrême – la lecture ouverte, fluide, complexe et non autoritaire, à laquelle le spectateur se trouve confronté « in situ ».
C'est le passage d'un regard actif et en profondeur – il faut discerner parmi des éléments hétéroclites, se baisser, marcher, monter, descendre, revenir sur ses pas – à un regard passif et plat ; la photo mâche et restitue digérées, en abolissant les distances, les « dissonances », polissant et figeant tout ce qui s'y cadre. La photo est allusion et illusion. Présenter ces photos c'est donc, en grande partie, et même sans franchir le pas consistant à les vendre comme œuvre à la place de l'original, trahir et pas seulement une fois et d'une seule façon ce qui les induit.

Le miroir qui les sépare

Mais alors, pourquoi donc des photos ?

Justement parce qu'elles trahissent. Je m'explique : tout d'abord, cette trahison est nette et fine à la fois. Jamais ici, la photo ne remplace, en tant qu'objet, ni le sujet ni l'événement photographié. Elle l'éclaire au besoin, le truque à l'occasion, mais ne le remplace jamais et, n'étant ni vendable ni échangeable en tant qu'œuvre, ne permet en aucun cas et paradoxalement, de faire l'économie de son modèle, mais permet à celui-ci en revanche de faire, quand il le faut, l'économie du Musée. D'autre part, en trahissant, les photos passent d'un camp, d'un champ, dans un autre. Elles jouent un autre jeu, incompatible avec celui du travail, de l'événement, qui les produit, les incite. Elles en méprisent, enfin, tous les principes, au point même d'en ériger d'autres, « sous leur nez », qui leur sont opposés. Sous prétexte de reproduire un travail, elles en produisent un autre en tous points différents. Différence et opposition qui se retrouvent tout autant dans les caractères formels de la photo par rapport à ceux de son sujet, que dans le regard et l'attention que chacun d’eux requiert. Trahison revendiquée donc, et qui nous mène finalement à la découverte de deux projets hétérogènes, le premier produisant le second, et à leur rupture radicale en tant qu'objets de connaissance (et non à la croyance habituelle d'une quelconque homogénéité de l'un et de l'autre), laissant d'un côté l'œuvre et de l'autre, la photo-souvenir. Seul, le miroir qui les sépare, qui les trahit, permet alors de déchiffrer le premier grâce au second.
Il est au demeurant bien entendu que l'œuvre pré-existe toujours à sa photo et qu'elle peut même fort bien s'en passer, l'inverse étant faux. La photo, en revanche, « survit » souvent à l'œuvre et devient ainsi le gage de son existence éphémère. Trahissant, elle devient ainsi le siège d'une mémoire paradoxale. Photo-souvenir, elle oublie l'essentiel et fait de cette absence un oubli actif questionnant. Elle ne se souvient pas à notre place mais crée du souvenir en partant d'un modèle qui lui, encore existant ou détruit, n'est en aucun cas arraché à son lieu d'origine quel qu'il soit, mais lui reste fidèle, toujours à sa place – celle-ci ne devenant pas inéluctablement celle du Musée qui, sauf préoccupation spéciale et explicite, n'en est jamais la destination finale. Le Musée est l'un des points d'origine possibles de l'œuvre et peut, si celle-ci est acquise, et dans ce cas seulement, devenir également le point, le lieu définitif de sa présentation, de sa destination. Dans ce cas, on peut dire que l'œuvre n'est pas seulement acquise par le Musée mais que celle-ci l'a également acquis.
L'acquisition est alors réciproque.

Au sujet de l'objet qui...

Ce que réussit la photo-souvenir, c'est bien d'empêcher le Musée d'acquérir ce qui ne lui est pas destiné, tout en indiquant – pièce à conviction – que l'œuvre a bien existé, l'extirpant d'un oubli total qui n'aurait pas manqué de s'instaurer et dont seul le Musée aurait alors pu profiter. En ce sens, la photo-souvenir sert, comme le Musée, à conserver. Cependant, les deux types de conservation sont bien différents. L'un déforme explicitement, édulcore et restitue, à travers un autre médium qui jamais ne s'expose, une information à décrypter au sujet de... Tandis que l'autre, plus subtilement, déforme plus encore, tout en les gardant à peu près, les apparences de l'objet qui s'y expose. Le premier est, par rapport aux problèmes de la conservation et du souvenir, un palliatif du second, mortel lui, s'il s'appropriait, sous prétexte de conserver et d'exposer in extenso, ce qui lui échappe pour ne lui avoir jamais été destiné. Serait-ce dire que toutes les œuvres, dès qu'elles peuvent être photographiées, sont en revanche toutes destinées à la photographie ? Bien sûr que non, et une telle conclusion serait non seulement hâtive mais une contre-vérité, et c'est la raison des précautions essentielles dont nous parlions précédemment. La photo, par rapport à l'œuvre en est la notation fugace, partiale et partielle. Elle est aussi différente de l'œuvre que pouvait l'être une gravure par rapport au tableau quand celle-ci était l'unique moyen de colporter celui-là.

Destination – destitution

La photo-souvenir est aussi, un peu, une sorte de rétroviseur montrant que la seule collection rétrospective du travail ne peut s'effectuer qu'à travers ses images et dans le corps d'un livre, et non dans celui d'un Musée. D'autre part, la photo-souvenir permet ainsi de regarder en arrière sans se retourner. À moins d'y prendre garde, maître du jeu, le Musée anéantit, quant à lui, en surexposant contre leur volonté, tous les travaux qui ne lui sont pas explicitement destinés. Lieu-dit de la conservation et de la mémoire, ce qui ne s'y trouve pas tombe immanquablement dans l'oubli. Ce qui ne veut pas dire – quant à la mémoire des choses – que ce qui s'y trouve y est représenté sans filtre ni objectif, plus fidèlement que ne peut le faire la photographie. Loin de là, et tout faux-pas dans la logique interne d'un travail, entre son lieu d'origine et sa destination, le fera échouer définitivement, surtout si le récif où il s'éventre n'est autre qu'un Musée. Il ne s'agit plus alors de la trahison qu'effectue la photo-souvenir par rapport à l'événement, comme nous venons de le voir, mais bien de la destitution pure et simple de l'œuvre à laquelle nous assistons, par simple monstration loin et hors du lieu de l'événement. Et l'intégrité du travail, son exigence par rapport à chacune de ses destinations, valent bien de prendre ici le risque d'en parler, d'en permettre une certaine information, à travers la photo-souvenir, quitte à le trahir de la façon que l'on sait, plutôt que de succomber à la tentation, plus lucrative et séduisante qui, sous les mêmes prétextes d'information et de conservation, l'anéantiraient bien plus sûrement, en l'exposant dans un lieu pour lequel il n'est pas destiné.
Dans ce sens, on s'aperçoit qu'à trahison, trahison et demie et que la plus traître des deux n'est pas celle qu’on croit, qu'une trahison qui se revendique comme telle pallie une autre, plus traître encore, parce que moins évidente, et qu'entre deux maux il faut choisir le moindre. C'est pourquoi les pages qui suivent, intitulées « photos- souvenirs », pour discutables qu'elles soient vis-à-vis de la mémoire, (celle qu'elles ravivent et celle qu'elles créent) affirment en même temps, grâce aux changements de médium et à la multiplication des supports, la distance qui les sépare de l'œuvre. Ainsi, la photo vit sa propre différence en désœuvrant littéralement son modèle. Elle le trahit toujours, le menace parfois mais le rend également mémorable.

Terminé à Séoul, octobre 1988